«Juxtassemblages & stratificapositions» : 24/01/ 2005 |
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En voilà un titre pour une exposition ! Rien que des néologismes pour exprimer ce qui fait que la ville est ville : assemblages de bâtiments, de populations, de cultures et d'arts, d'objets de toute sorte « proliférant » les uns à côté des autres, les uns sur les autres, les uns contre les autres...Tous les architectes, tous les sociologues le savent : la ville moderne est stratification. Dans d'anciens ateliers de mécanique générale à Aubervilliers, le collectif « L'art est public » assemble, monte et démonte ce qui structure « le paysage d'ici », une certaine image de la banlieue. « Juxtassemblages et stratificapositions » rassemble huit artistes autour de deux dénominateurs communs : d'abord l'exploration inlassable des territoires urbains, de leur tectonique et de leur imaginaire. Ensuite, tous nourrissent leur pratique de « quelque chose qui tourne autour de la juxtaposition, de l'empilement, de la prolifération bref, autour de l'accumulation ». A l'invitation de Dimitri Xénakis et Maro Avrabou, pour qui les Etablissements Michel sont devenus l'atelier, les artistes de « L'art est public » investissent et exploitent la spécificité du lieu dans des interventions mêlant photographies et installations in situ. ( ...) On pourra aussi voir, ou revoir, le « Teddy-Bunny » de Gaele Braun (dont on a déjà parlé, voir « Gonflables ! ») . Sa pleine et lumineuse plasticité semble contraster avec l'ambiance de l'atelier... et justement : sur fond de mosaïque du même plastique, « Teddy Bunny » veut incarner l'altérité qui tout à la fois épouse et modifie en profondeur la physionomie du lieu, à l'image des populations qui s' installèrent dans nos périphéries.
Cette exposition semble donc être le fruit d'une double rencontre : celle d'artistes se reconnaissant une communauté de processus de création et d'idées, bien que dans des expressions très différentes, mais aussi celle de ces artistes avec un lieu à l'histoire emblématique. Les Etablissements Michel d'Aubervilliers, anciennes parcelles maraîchères reconverties en lieu urbain industriel marque l'évolution, la prolifération de la ville, dans sa géographie et son activité, métamorphosant la vie des populations. C'est aussi la naissance d'une autre esthétique, celle du bâtiment industriel, de ses matériaux , de ses produits. Dans leur souci commun d'étendre les « territoires artistiques », les artistes de « L'art est public » s'insèrent dans cette mouvance de transfiguration des friches industrielles en lieu d'expression artistique. Cela n'implique d'ailleurs pas nécessairement la victoire de l'esprit sur la matière, du beau sur l'utile, de l'unique sur la production de masse, tant cet usage post-moderne d'anciens lieux de production intègre le vocabulaire esthétique industriel, pour le détourner, le façonner ou s'en saisir, comme pour dire « réapproprions-nous ce que nous avons produit pour produire ». En 2003, Gaele Braun, plasticienne vivant à la Courneuve, exposait « artistiquement » mais en l'état les « monstres » collectés dans la ville : réfrigérateurs hors d'usage, canapés défoncés, téléviseurs explosés, chaises sans pieds, matelas dévastés, pneus crevés... le tout sur 63m3 (400m²!) et sans autre intervention de l'artiste. Venez, venez voir ce que nous produisons, ce que nous consommons, ce que nous jetons ! Les artistes de « L'art est public » ne sont peut-être pas « engagés » comme on dit, mais vous avez saisi le jeu de mot ! S'ils veulent que le public puisse accéder à l'art, ce qui ne veut pas dire que l'art ne doit être que « populaire », ils entendent aussi se soucier, en tant qu'artiste, de ce qui est « chose publique » : la ville, la vie des gens dans la ville. Un collectif d'artistes un peu citoyens, sans discours grandiloquents ni ego démesurés, ce n'est pas si fréquent, et franchement rafraîchissant. |
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